Elle ne cesse pas de marcher. Elle a perdu sa fille. Qu'une fille perde sa mère, cela se conçoit, cela se voit chaque jour. Mais qu'une mère perde sa fille. Quand l'a-t-elle égarée et où? Elle se dit qu'elle aurait dû faire plus attention. Mais elle n'imaginait pas. D'ailleurs, est-elle bien sûre de l'avoir perdue? A-t-elle jamais eu de fille? Parfois elle en doute. Elle lui ressemblait tellement. C'était elle. En plus jeune, en plus charmante. Elle se souvient d'elle quand elle-même s'égare. Il ne lui reste qu'à marcher. Je la vois qui marche. Elle a remarqué qu'en marchant beaucoup, peu de verres de vin suffisent qu'elle boit aux comptoirs de bistrots de rencontre. La seule chose importante est de s'éloigner autant que possible du centre de la ville. Où sont les lumières des commerces et de la vie des autres. D'abord elle prend le tramway, puis, au bout de la ligne de tramway, elle descend et elle marche. Pourvu qu’elle marche, il n'est pas nécessaire de boire beaucoup. Et même, il ne faut pas. Pourvu que ce soit déjà dans les faubourgs. Non loin du cimetière. Elle n'entre pas au cimetière. À cette heure, celui-ci est fermé. Elle erre aux alentours, à la tombée de la nuit, puis encore quand la nuit est complète. Où sont des boutiques de fleuristes et d'inscriptions funéraires. Gravées sur le marbre. Avec des sculptures d'anges et de fleurs. De livres ouverts. Parfois, quand elle entre dans un bistrot et qu'elle s'avance au comptoir, il y a de la musique. Un clip sur l'écran du poste de télévision fixé au-dessus du comptoir. Alors, elle reste plus longtemps. Elle regarde et elle écoute. Sans boire plus d'un verre, parfois deux. Voilà l'histoire. Il n'y en a pas d'autre. Elle doit garder la force de reprendre un tramway pour rentrer chez elle, en fin de compte. Pour dormir et recommencer ainsi le lendemain. Rien d'autre. Le cimetière se trouve dans un faubourg où, devant, il y a la mer.
Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain, elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs cannes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas su...
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