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Articles

Gaïa

J’avais l'habitude de me servir d’outils numériques pour me repérer dans l’espace des villes et pour me faire comprendre. En plus de quoi, je prenais quantité de photos qui attestaient de manière précise de mes lectures et des endroits où je passais. Enfin, j'utilisais le dictaphone pour enregistrer les personnes que j'interrogeais sur la provenance des œuvres, sur les conditions matérielles dans lesquelles ils les avaient acquises, et pour ajouter à leurs propos les commentaires qui me paraissaient utiles. Grâce à quoi, au moment de rédiger mes rapports, je disposais de tout le matériel nécessaire, et je pouvais me permettre de fignoler, d’organiser mes paragraphes, de soigner le style. Je faisais en sorte de ménager le suspens, donnant ainsi au compte-rendu de mes enquêtes le tour amusant d’aventures policières. L’avocat du cabinet, à qui je devais les remettre, les qualifiait de “vrais romans”. Mais, à Amsterdam, il n’en fut pas ainsi. Mon téléphone avait été neutralisé ...

La mission abandonnée

Il y a dans la ville des quartiers peu recommandables, où domine le bizarre. Longtemps je les ai évités. Depuis trois ans, je ne les évite plus. Je suis devenu une silhouette habituelle de ces rues. Je parle de trois années. Un autre chiffre conviendrait aussi bien. Il me semble que mes explorations ont toujours lieu à la fin de l’automne, une fois la nuit tombée. Il m’arrive bien sûr de vivre d’autres moments qui se déroulent ailleurs, dans un autre monde. Ceux que je passe à explorer les rues fardées de lumières se situent hors du temps. Ils forment un labyrinthe dans lequel les lieux, les personnages, les circonstances ne se succèdent pas mais se croisent et se répètent.  Je dois relater d’abord un épisode de ma vie qui s'est produit il y a longtemps, dans le vrai monde, celui où maintenant j'écris. Ma profession voulait que je voyage beaucoup. J’avais été envoyé à Amsterdam où je devais expertiser un tableau pour le compte de la société d’assurance qui m’employait alors. J’...

Ernest De Luca

La première fois que je les ai vus, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. De toute évidence, un père et sa fille. Une femme d’âge mûr et son père dont elle prenait soin, qu’elle accompagnait dans la rue des Boers, par un beau matin d’hiver. Ils pouvaient revenir du Monoprix, tandis que je me dirigeais vers Gorbella. Mais qu’est-ce qui me faisait ainsi sourire, à peine de les voir? Si quelqu’un avait été là pour m’interroger (et je songe à la seule personne qui aurait pu le faire), j'aurais dit qu’ils me ressemblaient. Ou que nous nous ressemblions. J’étais venu m’installer dans ce quartier après la mort de ma femme, quand j’ai décidé de vendre l’appartement que nous avions occupé et où elle avait souffert, et, dès les premières semaines, comme il m’arrivait de les rencontrer, j’ai compris que nous étions voisins, qu’ils habitaient à six numéros de chez moi, et de les voir apparaître, marchant ainsi bras dessus bras dessous, me donnait chaque fois la même envie de sourire, un peu co...

Le balcon

Florent m’a appelé, un soir, pour me dire que son père était malade. Il sortait d’une grave opération, et Florent était en Argentine, où il habitait, tandis que son père était à Nice. Il m’a dit: “Louise vient le voir chaque semaine, mais elle habite loin, tu le sais, elle doit prendre le train. Alors, si tu peux aller le voir.” Je me suis demandé de quand datait la dernière visite que je lui avais faite. C'était au milieu de l'été, je m'étais inquiété pour lui à cause de la chaleur, et nous étions en novembre. Ce n'était donc pas si vieux. Et je l’avais trouvé en bonne forme, il était fier d’avoir maigri. Et comme chaque fois, il m’avait fait faire le tour de son appartement pour me montrer qu’il était propre et tout le confort moderne dont il était pourvu. Le réfrigérateur, qu’il avait ouvert pour m’en montrer l’intérieur, le four à micro-ondes, la machine à café, les postes de télévision dans chacune des trois pièces, le tourne-disques qui était au salon, et les phot...

Quid des histoires?

Une histoire, c’est ce qui vaut d'être raconté. Un auteur raconte une histoire parce que, selon lui, elle mérite d'être racontée. Et, quand il la propose au lecteur, c’est sous la forme d’une question. Il attend de savoir si celui-ci voit bien ce en quoi elle mérite d'être racontée. Ce en quoi l’histoire vaut d'être racontée, ni l’auteur ni le lecteur ne peuvent le dire, sans quoi l’histoire ne mériterait pas d'être racontée. Car alors, il suffirait de le dire, tandis que l’histoire dit ce qu’elle dit comme elle le fait, dans son ordre et son intégralité, et pas autrement. Pour autant, auteur et lecteur peuvent se parler et faire signe, l’un comme l’autre, vers ce qu’ils comprennent de l’histoire, et s’entendre à peu près là-dessus. Les critiques s’y emploient. Selon la définition que je propose, une histoire a donc une valeur. Et cette valeur n’est pas relative, ce n’est pas un prix. Elle est incommensurable, c’est-à-dire absolue. C’est une histoire, et elle a une ...

Le Quatuor de Saint-Ouen

Une professeure de français veut écrire un roman. Elle appelle un ancien compagnon pour le lui raconter au téléphone, au fur et à mesure qu’elle l’invente. Il y est question d’une professeur de français qui s’attache à un quatuor de très jeunes gens qui se retrouvent à Saint-Ouen sans qu’on sache très bien ce qui les rassemble. Il y est question de Brigitte Fontaine et de Carson McCullers. On reconnaît un thème illustré par Mikhaël Hers dans Primrose Hill (2007). 3380 mots. Environ 14 minutes de lecture. Texte intégral

Lincoln Heights

Un disquaire dijonnais retraité à Nice reprend contact avec un vieux camarade, sound designer , exilé à Los Angeles. Grâce à internet et à la visiophone, ils peuvent évoquer les paysages, parler de musique pop et surtout de cinéma. Mais à quoi se raccrocher quand on est si vieux? Qu’est-ce qui peut conclure l’histoire pour lui donner un sens? 2897 mots. Environ 12 mn de lecture. Texte intégral