mercredi 29 novembre 2023

Tadira

1.
Tadira est un port. La ville s’est construite devant le port. Avec les siècles, le maigre comptoir maritime s’est beaucoup développé. Tadira est devenue une grande cité, on y vient du monde entier, par train et par avion, tandis que l’activité du port a périclité. Le déclin du port est la conséquence de celui des Royaumes du Sud qui s’étendent de l’autre côté de la mer. Les habitants des Royaumes du Sud ont oublié les richesses qu’ils ont longtemps tiré du commerce maritime et terrestre. Ils se sont appauvris. Ils ont remplacé les mathématiques et l’astronomie par des querelles théologiques. Dans les écoles de Tadira, les élèves apprennent les noms des voyageurs et des savants des Royaumes du Sud qui, après avoir sillonné la mer intérieure, ont conquis la planète. Ils imaginent leurs dialogues à bord des voiliers qui, au lever du soleil, laissaient derrière eux traîner des filets. Aujourd’hui, le port de Tadira est un fantôme. On lui connaît une église qui regarde vers le large, un quai où se côtoient quelques dizaines de barques de pêche, qu’on appelle des pointus, et d’autres quais, hélas, qui s’étendent à perte de vue, où d’énormes bâtiments désarmés attendent et se rouillent. Personne n'ose plus aller au bout des quais, où on croirait qu’il pleut toujours. Il arrive encore que des cargos entrent et sortent du port, mais on préfère ne pas savoir ce qu’ils transportent. Quant aux marins qui forment leurs équipages et qui profitent de cette escale pour se s'enivrer, on préfère ne pas avoir affaire à eux.

2.
L’histoire de Tadira est celle d’un oubli, l’oubli du port qu’elle a au creux du ventre, mais cet oubli n’est pas absolu, le port revient dans les rêves des habitants de Tadira. La plupart en savent beaucoup plus qu’ils ne croient à propos de l’ancienne civilisation qui avait partie liée avec les Royaumes du Sud, et ce qu’ils savent hante leurs rêves et même, dans les contes qu’ils racontent à leurs enfants, il y a des Princesse et des Prodiges qui viennent de l’ancienne mémoire des Royaumes du Sud; il y a des Magiciens et des Brigands, des Carrosses et des Chats; No ideas but in things, écrit William Carlos Williams,. On ne sait pas où ni comment les idées s’inscrivent dans les choses mais le fait est que l’oubli est beaucoup moins absolu qu’on voudrait le faire croire. Personne aujourd’hui ne veut plus traverser la mer pour renouer avec les Royaumes du Sud, avec ce qu'il en reste, mais il suffira d’une nuit légendaire où une goélette accostera, apportant d'heureuses nouvelles, et les Magiciens illico reprendront du service, les Princesses s’envoleront de nouveau sur des tapis volants, et les marins de nouveau joueront de l’accordéon dans les rues, puis ils noueront leurs foulards aux cous des belles plutôt que de se battre.

3.
Je fais un usage quotidien du tramway. Je l’emprunte pour me rendre dans tel quartier que je ne connais pas, ou dont je ne suis pas sûr de bien me souvenir, et par chance il en reste beaucoup. C’est Jorge Luis Borges, je crois, qui dit que Tadira est infinie, ou n'est-ce pas plutôt Vladimir Nabokov qui dit cela à propos de l'Ulysse de Joyce? Je dois confondre. Et là où je descends, j’entreprends d’explorer les rues et les places, plus systématiquement encore les jardins, les zoos, les cimetières, mais pas les grands magasins, les boutiques de luxe, je n’entre pas dans ces lieux, que pourrais-je y trouver, qu’aurais-je envie d’y acheter ou seulement de me faire montrer, maintenant que Madeleine n’est plus là à qui je puisse offrir tel vêtement ou tel flacon de parfum (j’y pense, quand elle était petite, son grand-père l’appelait zingara). Je néglige ainsi presque tous les commerces, mais pas les minuscules échoppes qu’on voit fournies en denrées alimentaires venues des anciens Royaumes du Sud, d’Abrar plus précisément, puisque Abrar est la capitale des Royaumes du Sud, située en face de Tadira, de l’autre côté de la mer, sa jumelle en quelque sorte, ou plutôt son double spéculaire, la mer intérieure tenant lieu de miroir, et laquelle des deux serait le reflet de l’autre, laquelle est la vraie et laquelle un fantasme? Dans ces boutiques souvent étroites et sombres, je ne résiste pas aux pistaches et aux dattes, à l’odeur du café qu’on torréfie lentement, aux épices de toutes sortes, aux thés venus on ne sait d’où, bien que je possède déjà une telle collection de thés que je pourrais moi-même ouvrir une boutique. Je garde ces explorations pour mes après-midis. Je m’en vais après la sieste et je rentre aussi tard que possible, tant que mes jambes peuvent me porter, je marche, puis j'attrape un tramway, souvent il fait nuit déjà, le tramway est vide, même si en cette saison les journées n’en finissent pas, il faut bien qu'à la fin elles finissent, et quand je suis enfin rendu chez moi, je referme ma porte, j’allume ma radio, je dispose sur une assiette une tomate et une boite de sardines, je me prépare un unique verre de pastis, d’anisette ou d’ouzo, je finis mon pain avec de l’huile d’olive, puis, la fatigue aidant, et après que j'aie chargé sur ma tablette un film (le dernier ce fut Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul), je peux défaire mon lit.

4.
Le bassin le plus ancien du port, où l’eau est la plus profonde et la plus noire, se trouve au pied d’une côte escarpée, dans une crique qui ressemble à un gouffre. Une route la domine de très haut et offre, dans ses virages, une vue vertigineuse sur le golfe. Mais au plus près de l’eau, les anciens contrebandiers ont creusé dans la roche un sentier sinueux qui est fréquenté, aujourd’hui, par des groupes peu nombreux d’amateurs de beaux paysages et de sensations fortes. Car, tant que la mer est plate, il suffit au promeneur de regarder où il met les pieds, mais aussitôt qu’elle s’agite, les vagues vous éclaboussent, vous fouettent et menacent de vous emporter. Si vous vous y aventurez, un beau matin de printemps, vous rencontrerez d’abord des pêcheurs à la ligne qui vous tourneront le dos. Des présences anodines. Ceux-là viennent pour la solitude. Vous respecterez ce vœu. Puis ce seront de petits groupes de baigneuses et de baigneurs accrochés aux rochers. Ils sont d’âges très divers, ici une adolescente, là un vieillard maigre et long, à la peau bronzée et tellement parcheminée qu’on la croirait couverte d’écailles, capable de rester debout longtemps, sur une seule jambe, de s’enrouler sur lui-même et de se dérouler comme un serpent. Ces habitants des rochers forment des familles ou de petits clans d’habitués auxquels vous ne vous agrégerez pas si vous n'y êtes pas parrainé par l'un de ses membres. Ils peuvent passer là de longues heures à lire, à bavarder, à partager le peu de nourriture que chacun apporte (des farcis, des acras, de la pissaladière, des cerises ou des figues quand il y en a), à s’enduire mutuellement de crème solaire, à se livrer à des exercices de yoga ou de tai-chi-chuan. Ils s’inquiètent pour ceux d’entre eux qui nagent trop loin, qui chantent à pleins poumons des airs d’opéra en faisant la planche, qui disparaissent derrière un rocher. Ils ont hâte de les voir revenir. Enfin, si vous franchissez une certaine limite, vous apercevrez des corps nus, tapis dans des creux ou sautant d’un rocher à l’autre, vous surprendrez des regards et vous comprendrez que vous entrez là dans le domaine des étreintes furtives. À vous de savoir si vous souhaitez aller plus loin. Rien dans tout cela qui dépasse l’entendement. Pourtant les choses se compliquent quand on parle de chiffres. D’après ceux qu’on connaît, le total de personnes ayant fréquenté le sentier des contrebandiers, au cours d’une année, même pour une seule visite, s'élèverait à quelques centaines, tandis que la ville compte plus d’un million d’habitants. Une proportion infime. Pourtant les psychothérapeutes et les psychanalystes de Tadira (ils sont réputés pour leur haute compétence, il est arrivé qu’on compare Tadira à la Trieste d’Edoardo Weiss et d’Italo Svevo) affirment que beaucoup de leurs patients, à un moment ou un autre de leur cure, parlent de ce lieu parce qu’ils l’ont vu en rêve. Aucun doute que c’est bien lui, encore qu’ils affirment n’y être jamais allés (mais le thérapeute, oui, il faut croire qu’il y est allé, puisqu’il le reconnaît à la description qui en est faite, les yeux fermés). Une telle bizarrerie peut avoir plusieurs explications. J’en vois deux. La plus simple et la plus crédible est que les personnes concernées se sont aventurées, un jour dans leur vie, ou peut-être une nuit, seules ou accompagnées, sur le sentier des contrebandiers, mais que, pour une raison ou pour une autre, elles ont voulu oublier cette circonstance, et qu’ainsi leurs rêves ramènent le souvenir d’une amour enfantine, d’un égarement peut-être, ancien et refoulé, et le désir aussi. L’autre explication est que, si le sentier existe bien dans le monde matériel, ceux qui le hantent sont des sortes de divinités capables d’apparaître quand elles le veulent dans les rêves des habitants de Tadira comme dans ceux de tous les voyageurs venus un jour dans cette ville. La Grèce ancienne avait son Olympe. Tadira a un sentier du bord de mer où des nymphes et des sorciers vous attendent. Ou des anges.

5.
Pourquoi cette pluie? Le jour, avec le soleil, on a une impression de gaité. Deux ou trois magasins ouverts, de matériels de plongée sous-marine, de pêche et de yachting. Deux restaurants aux terrasses ombragées où manger des fritures de poissons et boire des pichets de vin blanc. Mais le soir inexplicablement les choses se compliquent. La brume sur le quai quand des groupes garçons viennent des quartiers Nord pour s’entraîner à la boxe. La pluie. Le jour, les voiles qui passent la digue basculent dans le soleil. La nuit, l’odeur de sueur, les halètements des garçons qui sautent à la corde, qui s’abritent derrière leurs gants, qui frappent au visage, les ordres criés de l’entraîneur. Plus tard encore les cabarets et leurs musiques. Un jour j’irai louer une chambre meublée au-dessus d’un cabaret et je ne quitterai plus le port. J'habiterai les quais. Debout à la fenêtre, je regarderai au loin les voiles qui se gonflent et s'inclinent. Je serai une silhouette qui marche sur les quais, qui erre dans les ruelles adjacentes comme sans toucher le sol, la tête dans la clarté des lampadaires mouillés de pluie. Je sais que les royaumes du Sud furent annexés par ceux du Nord. Voulez-vous connaître l’histoire? Je vous la dirai. Quelle Muse pour m’aider à chanter la guerre au prix de laquelle Abrar fut asservie par Tadira, ni celle au prix de laquelle Abrar, plusieurs décennies plus tard, se libéra de la honte, des mensonges, des tortures causées par Tadira? Que revienne la paix, Ô Muse, inspire-moi!

6.
Tu n’as pas connu l’Algérie, dit mon frère lui aussi expulsé du pays connu en vingt-quatre heures (Hélène Cixous). Il m’arrive de m’en éloigner beaucoup, de passer des mois dans les quartiers Nord sans jamais revenir vers la mer. Là-bas personne ne semble se souvenir du port. Il y a des parcs où des enfants jouent au ballon au pied de grands immeubles toujours en construction dont on ne sait pas quelle hauteur ils finiront par atteindre, des cerfs-volants dans le ciel, des pluies qui s’abattent le soir, descendues des montagnes et que tout le monde applaudit. Alors on quitte les parcs en courant, les enfants s’abritent la tête avec leurs cartables tandis que leurs mères forment derrière eux une escorte rieuse, les pieds nus dans des sandales. Elles cherchent des yeux un homme qui vient à leur rencontre avec un parapluie. Oui, tu te souviens de ce garçon, il était amoureux de toi déjà à la maternelle. Le port n’est plus leur affaire et quelquefois, je me dis qu’il n’est plus la mienne non plus, qu'il ne devrait plus l'être, mais d’autres fois je songe à Abrar. C’est là-bas que je suis né et de là-bas que les miens ont été expulsés à l’issue de 132 ans d'annexion coloniale. En dépit de ces expulsions ou à cause d’elles, les habitants d'Abrar n’ont jamais retrouvé la liberté, ni la sécurité, ni la richesse. Je me souviens des exactions commises à Abrar par les puissances du Nord, imaginées, organisées, planifiées par des personnes qui regardaient Abrar comme une autre planète, qui méprisaient les colons aussi bien que les indigènes. À quel moment l’autobus passait-il près du Jardin d’Essais et à quel moment derrière le Ravin de la Femme Sauvage, au fond duquel j’imaginais que la pauvre avait dû s’enfouir, abritant sa folie dans les roseaux et les eucalyptus qui l’avaient envahi et qu’agitait le vent de la mer chargé de sable? Tu n’as pas connu l’Algérie. Moi-même, ce reproche, je l’ai fait à ma petite sœur quand nous étions enfants, avant que tant de fois me l’adressent des personnes qui avaient fait le voyage que je refusais de faire et qui à présent connaissaient la ville bien mieux que moi, encore que celle-ci fût comme une maladie dont je n’aurais pas guéri.

7.
Abrar occupe le sommeil de mes nuits et le sommeil de mes nuits me dit qu'Abrar fut une colonie peuplée par des socialistes utopiques (saint-simoniens), des pêcheurs de coraux venus en barque de la côte amalfitaine, des jardiniers exilés des Îles Baléares, experts dans la culture des vignes. Il va de soi que le sommeil de mes nuits ne dit pas toute la vérité, même si je sais qu’il dit toujours la vérité, ou plutôt que je ne sais de vérité que celle qu’il me dit. Il dit que les colons ensemble avec les populations locales — Musulmans et Juifs —, pendant des décennies, ont expérimenté les formes d’une vie commune (plusieurs langues, plusieurs peuples, plusieurs religions, ou pas de religion du tout), d'un partage tordu de douleurs et souvent de délices, dont les Puissances du Nord comme celles du Sud n’ont jamais voulu. Il fallait que l’expérience échouât. Le nombre de morts, le chagrin, la pauvreté ne comptaient pas, pourvu qu’elle échoue. Et il faudra qu’un jour pourtant, d'épaule nue, elle réussisse.

Structuralisme

J’ai compris que mon séjour se passerait dans la banlieue. Une voiture m’attendait à la gare. Piotr assis à l’avant, il donnait des ordres au conducteur. Nous parlons en nous regardant dans le rétroviseur. Nous traversons des quartiers anciens, places monumentales que je reconnais pour les avoir vues en photos. Il neige, il se mit à neiger. Les ailes blanches des oiseaux battaient dans le ciel des boulevards. Des nuages noirs emplissent le ciel où flottent des ballons qu’on voit pilotés par des êtres appartenant à plusieurs espèces animales. Échanges de tirs au laser. Plutôt rituels. La nuit vient trop vite. La banlieue, au contraire, apparaît dans un pâle soleil d’hiver. Ma chambre au premier étage ouvre sur une esplanade où s’est installé un cirque. Je découvre, sous ma fenêtre, ses caravanes peintes de couleurs vives. Je respire l’odeur des fauves, je les entends se plaindre dans la nuit, raconter leurs histoires. Occupé la plupart du temps à jouer aux échecs avec des inconnus dans un café où je prends mes repas. Puis, les cours de linguistique que je donne dans une salle des festins équipée d’un tableau noir. Mes étudiants gardent la tête baissée sur les cahiers où ils écrivent. Je ne connais pas leurs noms, ni le son de leurs voix. Je ne suis pas certain de leur compréhension. Ils repartent en tramway. Ils regagnent les écoles où ils enseignent à lire à des enfants. Certains, arrivés au port, s’embarquent pour leurs lointains pays. De celui qui était le plus timide mais aussi le plus studieux, nous apprendrons qu’il a participé aux émeutes qui ont entraîné la chute de l’ancien président, et qu’il occupe un poste important auprès de celui qui l’a remplacé.


mardi 28 novembre 2023

Les émeutiers

1.
Réveillé, la nuit dernière encore, par des bruits d'émeutes. Ils correspondent à des rêves. Je veux dire que je rêve d’émeutes et que j’entends les bruits de ces émeutes, les fracas à peine assourdis. Il se peut que ce soient mes rêves qui me les fassent entendre, mais il se peut aussi que ce soient des bruits que j’entends durant mon sommeil qui me fassent rêver.

Dans la journée, le plus souvent, je n’y pense pas, mais il m’arrive aussi, en me promenant dans les rues voisines, d’en repérer de possibles traces. Des éclats de verre, des boulons, des manches de pioches, des barres de fer, des éléments de carrosseries incendiées. Des véhicules blindés. Je découvre tel vestige repoussé sur le bord du trottoir, et je m’arrête pour mieux le regarder. Quand je lève les yeux, je croise le regard d’un autre passant qui s’est arrêté, lui aussi, devant la même découverte, et qui semble intrigué. Mais nos lèvres restent serrées et, bien vite, nous détournons la tête, nous reprenons notre chemin, chacun de son côté.

Une fois ou deux, ce furent même des traces de sang. Des flaques balayées. J’aurais dû noter le lieu et la date, mais je ne l’ai pas fait.

L’autre hypothèse serait que ces fracas nocturnes résonnent dans des films. Toutes les nuits, certains habitants du quartier regardent des films, avec une préférence marquée pour ceux les plus violents, et maintenant que les nuits sont douces (on entend le rossignol, la pluie et le vent dans les feuillages des arbres), il arrive tout naturellement qu’ils laissent leurs fenêtres ouvertes.

En fait d’émeutes, il peut s’agir d'échos de véritables guerres que se livrent les peuples de continents entiers, les uns contre les autres, voire de planètes séparées dans l’espace par des centaines d’années-lumière, et qui se rencontrent et s’affrontent dans la nuit, en laissant tomber sur notre terre les débris infâmes de leurs combats. Pourquoi leurs habitants éprouvent-ils le besoin de se faire la guerre? C’est quelque chose que je ne m’explique pas. Et d’ailleurs, n’est-il pas étonnant que le bruit de ces guerres ne se fasse entendre que la nuit?

La troisième hypothèse, la plus probable hélas, serait que ces émeutes ont bien lieu dans nos villes. Mais, dans ce cas, pourquoi n’en est-il pas question, au matin, à la radio ou dans les journaux? Je crains de devoir admettre que ces émeutes ont lieu, et je crains davantage encore que les hommes de la police et de l’armée, qui essuient ces combats, ne soient tenus d’en garder le secret.

Il faut, nuit après nuit, qu’ils vainquent les émeutiers mais aussi qu’avant le jour ils débarrassent les rues des traces de ces combats. Ma crainte terrible, mon angoisse (appelons un chat un chat) est que l’accomplissement de cette double tâche, se battre, affronter des démons, puis faire le ménage pour que, au point du jour, il n’en reste aucune trace, je crains que cela ne les épuise.

Cette mission qu’ils ont de nous protéger durant notre sommeil, on ne sait contre qui — car, dans mes rêves, j’entends les cris des émeutiers, leurs rires, les sarcasmes, les insultes lancées par-dessus les barricades, entre deux jets de grenades ou de cocktails Molotov, des boulons et des écrous énormes projetés avec des lance-pierres — je songe à leur fatigue et au poids du secret qu’ils portent — peuvent-ils, à tout le moins, se confier à leurs familles, quand ils rentrent chez eux, le matin, alors que leurs enfants se préparent à aller à l’école, avant qu’ils n’aillent, les malheureux, se jeter sur leurs lits, les bras en croix, sans avoir pris le temps (sans avoir trouvé la force) d’ôter leurs uniformes? Et j’ignore si les protagonistes de ces attaques sont seulement des voyous de chez nous, qui vivent le reste du temps sous les arches des ponts, dans des hangars abandonnés, dans des caves, ou s’ils reçoivent le renfort, nuit après nuit, de guerriers accourus d’autres planètes, en soucoupes volantes. Je veux dire, pensez-vous que l’empire soit réellement menacé? Pour cette fois, je me contenterai de poser la question.

2.
Reprenons. Je me suis reposé et je me sens capable de poser de nouveau la question, de la considérer comme on dit, “à nouveaux frais”. Allons!

Les personnes raisonnables ne sortent pas la nuit, mais cela ne signifie pas que les rues seraient désertes pendant les heures du couvre-feu. Au contraire, elles sont hantées par des bandes de pillards. Depuis que les journaux en parlent, certaines personnes parmi celles que je fréquente semblent trouver une sorte de poésie romantique aux violences commises, voire des justifications politiques et morales. Autant le dire, ce n’est pas mon cas.

L’idée de ces scènes de combats qui ont lieu sur nos places, dans nos rues, m’empêche de dormir. Je les trouve inacceptables, et je n’imagine pas que la police et l’armée puissent y répondre autrement que par des violences plus implacables encore. Comment peut-on dormir et rêver en sachant ce qui se passe dans nos rues, la nuit, dans différents quartiers de la ville, ou plutôt en tâchant de s’en faire une idée, en fonction des bruits que l’on entend et parfois de certains rougeoiements dans le ciel? Car si, aujourd’hui enfin, la radio et la presse ne font plus mystère de ces événements, les informations qu’elles fournissent restent des plus succinctes. Allusives.

3.
On entend, on lit, et ensuite on se dit, Ai-je bien entendu? Sur quelle page de quel journal ai-je pu lire cet entrefilet que j’aurais dû découper, ou qui donc m’a parlé (ou a parlé devant moi) de ce que lui-même avait vu, ou de ce qu’il avait entendu dire, qu’une autre personne lui avait rapporté? Car les semaines passent et nous n’avons pas de chiffres, ni aucune image.

Il semble que le mot d’ordre selon lequel toute trace doit être effacée avant le matin, soit toujours appliqué avec la même rigueur, mis à part que ce seraient les pompiers désormais qui feraient ce travail, en y employant des moyens qu’on imagine considérables. Et surtout, il n’est jamais question d’aucune arrestation et, par suite, d'aucune comparution devant les tribunaux, d’aucune décision de justice.

On voudrait savoir qui sont les voyous. Pour cela, il faudrait en attraper un et l’interroger. Comme on attrape et on étudie des phalènes. À la loupe. Il est probable que nos papillons de nuit (j’ai employé un déterminant possessif, vous avez remarqué?) bien souvent se brûlent les ailes aux incendies allumés par eux ou par la police, mais est-il possible que la police n’en attrape jamais un et le démasque? Nous saurions ainsi qui ils sont, d’où ils viennent, nous connaîtrions enfin leurs motivations. Si bien qu’il a fallu, la nuit dernière, que je sorte et que j’aille à leur rencontre. Plutôt que rester éveillé dans mon lit, cela ne valait-il pas mieux? Je vous pose la question.

4.
J’avais décidé de ne pas aller très loin, de faire le tour seulement de deux ou trois pâtés de maison, mais cela n’a pas suffi. Je n’ai rencontré personne, de lourds fracas se sont fait entendre mais ils paraissaient lointains. Il pouvait s’agir aussi bien de ceux produits, sur de vastes chantiers, par des engins de creusement et de levage qui sont comme des monstres. Et personne ne m’a vu.

Je suis rentré au bout d’une heure peut-être comme font les chats, mon lit était défait, je me suis recouché et cette fois j’ai dormi, mieux que je ne l’avais fait depuis bien longtemps. Si bien qu’en m’endormant, j’ai su que je ressortirais la nuit suivante pour aller plus loin encore, et ainsi sans doute, nuit après nuit, pour marcher chaque fois plus longtemps, poursuivre toujours plus loin mes explorations.

Ô je n’en suis pas vraiment malheureux, mais depuis cette première nuit que j’ai joué les vagabonds, que je me suis déguisé en voyou, bravant le couvre-feu, je ne me reconnais pas. Mon pas est devenu plus souple, mon dos se voûte, mes yeux s’habituent à la nuit, mes bras, mes mains se couvrent d’un pelage épais et semblent capables d’attraper plus loin, plus vite, mes moustaches s’allongent, et voici que mes oreilles elles-mêmes, à présent, se couvrent de poils et se terminent en pointe.

Phyllis

J’ai vu Phyllis quand la voiture s’est arrêtée devant le petit restaurant de Jim et qu’elle en est descendue. Il était un peu plus de minuit. J’étais debout à l’entrée de la ruelle, à côté du restaurant, là où je me tiens le plus souvent à cette heure de la nuit. L’entrée de mon immeuble est dans la ruelle, derrière moi, à quelques pas seulement, et une fois monté dans ma chambre, je me tiens debout, un long moment encore, devant ma fenêtre.

Quand Phyllis est descendue de la voiture, elle ne m’a pas vu, ou elle a fait semblant de ne pas me voir. Il faut dire qu’elle baissait la tête parce qu’il pleuvait un peu. Elle tenait d’une main son petit sac au-dessus de sa tête pour protéger ses cheveux. Elle était pressée de rentrer chez elle pour se mettre à l’abri. Elle habite tout près. Quel âge peut avoir cette gamine? Elle m’a dit vingt-cinq ans, je dirais plutôt vingt-deux ou vingt-trois, peut-être moins. Que vient-elle faire ici? Elle me lit les lettres de sa mère. Chaque fois, elle m’appelle au téléphone et elle me dit: “J’ai reçu une lettre de maman. Je peux te la lire?” Alors, elle vient chez moi, ou bien nous nous retrouvons chez Jim.

Jim reste seul à présent pour tenir son petit restaurant. Il s’en sort pas mal. Je crois qu’il continuera ainsi. Quand le dernier client est parti, il vient fumer une cigarette avec moi, à l’entrée de la ruelle. Le métro passe sur un pont au-dessus de nous. Je voudrais lui parler du visage de Phyllis mais c’est difficile. Et puis, ce n’est pas à moi de le faire. Ce serait plutôt à lui. Un visage qu’on voit éclairé par un projecteur ou par les phares d’une voiture. Tourné vers vous. Qui vous regarde comme si elle avait peur, juste un instant avant de vous reconnaître. Son corps est celui d’une femme, mais son visage est celui d’une enfant. Je me demande quel âge elle a exactement et ce qu’elle vient faire ici.

> Écrit la nuit dernière après avoir vu, sur Youtube, le film Chantal Akerman by Chantal Akerman (1996), le dernier plan. Avec un souvenir aussi de My Blueberry Nights de Wong Kar-way (2007).

lundi 27 novembre 2023

Cap-d'Ail

Nous nous sommes installés dans un cabanon, devant la mer. Il avait été construit au pied de la montagne. Trois autres cabanons semblables s'alignaient là. La paroi rocheuse projetait son ombre sur la plage de galets. La route et la voie ferrée passaient très haut au-dessus de nous. Nous ne pouvions pas les voir. Les oiseaux blancs s'envolaient au grondement des trains.

J'avais apporté ma machine à écrire, je pouvais travailler, mais nous n'avions pas l'électricité, si bien que nous ne pouvions pas écouter de musique. La nuit encore, quand l'unique pièce du cabanon était éclairée par des bougies, qu'il restait un fond de vin rouge dans nos verres, nous traversions la plage pour nous baigner. Je nageais loin.

J'ai appris qu'un célèbre architecte s'était suicidé l'été précédent dans l'un des cabanons voisins. J'ai enquêté au village où nous recevions notre courrier. Une poignée d'habitués assis à la terrasse du café, les taches d'ombre et de lumière sur leurs visages. J'ai fait avec le peu qu'ils en savaient. J'ai évoqué le paysage.

Mon article est paru à l'automne dans un journal de la côte ouest. J'habitais alors à Paris, rue Gît-le-Cœur. Isabelle était retournée à Hambourg.

> Ce texte doit beaucoup au souvenir que j'avais d'un long poème (ou d'une nouvelle) de Michel Roland-Guill intitulé Mala. On la retrouve aujourd'hui sur son blog personnel.

La vie d’artiste

J’étais devant Parade de cirque de Georges Seurat. Nous avions été invités à donner trois concerts aux États-Unis (Detroit, Cleveland, Pittsburgh) et, avant de regagner la France, je m’étais échappé du groupe pour aller voir le tableau qui est conservé au Metropolitan Museum of Art de New York. C'était la première fois que je me trouvais en sa présence, debout devant lui, et cette rencontre revêtait pour moi une importance particulière. Depuis bien des années, j'en gardais une reproduction glissée dans la boîte de mon violon comme d'autres violonistes gardent à cette place des photos de leur femme et leurs enfants. Je n'étais pas marié, je n'avais pas d'enfants, mais je reconnaissais, dans l'atmosphère douce et mystérieuse qui nimbe les personnages, dans le silence de l'œuvre, le feeling qui a présidé au choix de mon métier de musicien. 

C’était un soir d’automne, il faisait déjà nuit, et pour la première fois, je me voyais admis à la classe d’orchestre du conservatoire de Nice. J'avais alors douze ans. J'étais à la fois le plus jeune et le plus inexpérimenté des participants, ce qui signifie que la gageure consistait pour moi à ne pas commettre de fausse note que le chef puisse entendre. J'étais placé au dernier rang des seconds violons, et je prenais soin de ne me signaler en aucune façon, de faire le moins de bruit possible. Mon archet ne touchait pas les cordes, je tâchais tout au plus de tirer et pousser en même temps que les autres. Je me souviens que les cuivres et les bois jouaient la partie principale, ce qui m'a fait quelquefois penser que la partition que nous travaillions alors était celle de la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel, mais je n'en suis pas certain. Il faut dire que nous n'enchaînions pas plus de cinq ou six mesures sans que le chef nous interrompe, et immanquablement ses claquements de baguette, ses éclats de voix, ses indications s'adressaient aux chefs de pupitres. Du rang où j'étais, je ne pouvais pas les voir mais je remarquais qu'ils n'hésitaient pas à lui répondre, et que ces réponses avaient le pouvoir de provoquer de part et d'autre des éclats de rire. 

J'avais commencé l'étude du violon à l'âge de sept avec une dame qui donnait des leçons particulières, puis j'avais été admis au conservatoire quatre ans plus tard. Mon professeur, qui était premier violon à l'opéra, jugeait mes aptitudes excellentes; mes parents étaient fiers de le savoir, et ils ne cachaient pas l'espoir qu'ils nourrissaient pour mon avenir. En réalité, mes dons n'avaient rien d'exceptionnel et j'en étais conscient. Jamais je ne me suis imaginé capable de faire une carrière de soliste. Je mesurais, en outre, l'incalculable quantité de travail qu'implique une telle ambition, et j'étais d'un naturel plutôt rêveur. Mais jusqu'à présent, je m'étais toujours trouvé seul, mon violon à la main, devant mes partitions, tandis que, ce soir-là, je me voyais admis à l'intérieur d'un groupe d'instrumentistes dont les compétences dépassaient de beaucoup les miennes, invité à les écouter, à les suivre, à les accompagner bien plutôt qu'à faire preuve de mon propre talent. Et soudain, dans ce groupe, je me suis senti heureux.

Ce qui est certain, c'est que nous jouions alors de la musique française. Celle-ci était trop souvent arrêtée, répétée, disséquée, commentée pour dessiner des phrases, mais je n'en étais que plus sensible à la sonorité des instruments. La musique que j'entendais, et dont je me souviens, était à coup sûr fort éloignée de celle imaginée par le compositeur, mais j'y trouvais un charme qu'aucune autre n'a jamais surpassée dans mon esprit. Un charme rêveur comme je l'étais moi-même, plein d'une simplicité quasi enfantine, marqué d'une tendre nostalgie. Pour une raison difficile à expliquer, elle me fit songer à une fête foraine dont le moment s'achève, dont les lumières s'éteignent, dont la musique, ou ce qu'il reste de musique, est entendu de loin. Et je m'y sentis si bien transporté, si à mon aise, que je décidai sur le champ que pourrais devenir, moi aussi, un musicien d'orchestre. Or, c'est ce charme exact que je devais retrouver, trois ans plus tard, dans le tableau de Georges Seurat découvert par hasard. Entre temps, j'avais beaucoup travaillé mon violon, si bien que mon professeur jugea opportun de me présenter au concours d'entrée du conservatoire national supérieur de Lyon. Quatre ou cinq de mes condisciples se présentaient chaque année à ce concours. La plupart jouissaient, parmi notre petite communauté, d'une réputation bien supérieure à la mienne, mais bien peu étaient reçus, tandis que je le fus du premier coup. Dès lors, mon destin était tracé. Je mènerai la vie d'artiste. Et voilà que je retrouvais à présent, dans sa forme originale, le tableau dont j'avais fait secrètement mon emblème.

Il était moins grand que je ne me l'étais représenté, à peine un mètre et demi sur un mètre. Mais je reconnaissais la figure androgyne dressée au beau milieu d'une baraque foraine que quelques lampions à peine éclairent dans la nuit. Sa mince silhouette partage la largeur en deux parties égales. Toute de noir vêtue, elle semble nous regarder. Son visage est-il couvert d'un voile? On hésite à le dire. Il serait inexplicable. Mais sa face apparaît comme une lune pleine dont on cherche en vain à discerner les traits. Elle est juchée sur une petite estrade, et domine ainsi les badauds dont les têtes et les épaules dessinent une frise amusante tout au bas du tableau. Elle porte un capuchon pointu, une veste longue serrée à la taille et des collants qui lui arrivent aux genoux. Elle est munie d'un trombone dont elle ne semble pas jouer, encore qu'elle en garde l'embouchure aux lèvres, mais si elle en a joué, l'instant d'avant, elle le tient à présent abaissée devant elle et devant son public.

Trois autres musiciens apparaissent au second plan, à gauche de la figure principale selon notre point de vue. Eux aussi regardent droit devant, figés, avec des airs absents, comme s'ils ne voyaient rien. Deux petits et un grand. Ils portent des costumes sombres et des chapeaux melons qui donnent à leur allure un caractère funèbre. Une autre figure contrebalance cet effet, celle d'un bel homme bombant le torse, aux cheveux roux et la moustache en guidon, qui se pavane, l'œil sévère, une badine sous le bras, à droite de la scène, au niveau du public, dans un cadre rectangulaire de clarté verdâtre. Il se tient devant nous dans un profil parfait, et son regard passe largement au-dessus d'un enfant vêtu lui aussi avec soin, qui montre un large nœud de cravate bleu, une houppette dressée sur le front et qui lève vers lui un regard intrigué et qui peut être son fils.

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Rêve de la cellule du PCF

Il fait nuit, la campagne a été inondée par les pluies. Sur une butte, une petite maison cubique aux fenêtres éclairées. Je gravis la butte, la pluie recommence à tomber, et je pénètre dans la maison. Une réunion du PCF s’y tient. Elle a commencé. Je m’installe dans un coin et j’écoute les propos qui s’échangent. C’est un petit homme qui les anime. Il se tient debout devant les autres qui sont assis, comme à l’école. Il ne parle pas de politique, je ne comprends pas de quoi il est question. Le petit homme ne s’adresse pas à moi, il m’ignore. mais sans que mon nom soit jamais prononcé, c’est de moi qu’il s’agit. Le petit homme plaisante, mais ses propos tendent tous à monter les autres contre moi. Je comprends que je vais me trouver bientôt exclu de cette cellule dont je suis le membre le plus ancien et le plus vieux, pas forcément le plus actif. Je me dis alors que j’en ai assez entendu, et je me lève pour partir. Personne ne semble s’en soucier. Mais lorsque je parviens à la porte, derrière eux, je me retourne et je vois que le petit homme glisse en riant un mot plus perfide encore que les autres, dirigé contre moi. Alors, je prends la parole, par-dessus les têtes de tout le groupe, et je lui dis: “N’as-tu pas honte de parler ainsi? Qu’as-tu à me reprocher? Si tu as un reproche à me faire, adresse-toi à moi, les yeux dans les yeux. Tu montes les autres contre moi, sans me nommer. Tu te comportes comme un imbécile. C’est toi qui n’as pas ta place ici. Tu irais mieux chez les trotskystes, qui sont les spécialistes du mensonge. Tu n’es pas un vrai communiste. Un vrai communiste est franc et sincère. Tu n’es ni franc ni sincère. Tu vois, j’allais partir pour ne plus revenir. Mais maintenant, c’est décidé, je reviendrai la semaine prochaine et toutes les autres semaines encore. Tu ne m’excluras pas de cette maison qui est la mienne. Maintenant, il est tard et je vais m’en aller, parce que je suis fatigué. Mais crois bien que vous me reverrez la semaine prochaine.” Et tandis que je m’adresse au petit homme qui reste bouche bée, je sens que la plupart des autres se sont retournés en ma faveur. J’entends qu’ils murmurent: “Il a raison!” Alors, j’ajoute: “Mais bon, les eaux sont encore montées. Je suis vieux et, dans toute cette obscurité, j’ai peur de tomber et de me noyer.” Et à ces mots, tout à coup, deux camarades se lèvent et disent: “Mais oui, attends-nous! Nous avons ici notre barque. Nous allons te raccompagner.”

Je conclus ce récit en déclarant à mon psychanalyste que ce rêve m’a paru très beau, qu’il m’a apporté beaucoup de bonheur. Celui-ci me sourit en retour et me demande de dire ce que j’ai à l’esprit, que je puisse associer à ce rêve. Alors je souris aussi, et sans réfléchir, je lui réponds que cela n’a sans doute aucun rapport mais que, lorsque j’étais très jeune, je lisais un petit livre de Louis Althusser intitulé Lénine et la philosophie. Et qu’au tout début de ce livre, l’auteur racontait que Lénine avait passé une partie de son exil à Capri, et que là-bas il s’était lié d’amitié avec les pêcheurs. Il ajoutait que les pêcheurs aimaient son rire, à quoi il reconnaissaient qu’il était bien “de leur race et de leur camp”. Et soudain, en disant ces derniers mots, ma voix se met à trembler et je pleure.

 (Mardi 6 juin 2023)

Le blanc et le noir

Et puis son état s’est aggravé, au point qu’il a fallu l’hospitaliser à plusieurs reprises. C’était une période critique: les hôpitaux, débo...