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L'enfant, l'école et la langue

  1. La fonction de l'école a toujours été de fournir aux enfants des dispositifs favorables à l’apprentissage de l'écrit. On fait entrer un groupe d’enfants dans la machine et, si la machine fonctionne bien, ils apprennent à lire et à écrire. Cela, nous le savons. Cela a été démontré par des millénaires de tradition dans toutes civilisations du monde qui disposent de l'écrit. Au centre de ces dispositifs, il y a le maître. Le maître est celui (ou celle) qui fait fonctionner la machine, ce qui suppose qu’il la connaisse bien, qu’il ait été formé à son utilisation, mais ce n’est pas lui qui l’a inventée, tout juste peut-il y apporter ici ou là tel minime perfectionnement, et dans la plupart des cas il n’a qu’une idée très approximative de la manière dont celle-ci opère sur ses élèves. Car savoir dans quelles conditions les enfants apprennent à lire et à écrire n’implique pas de savoir comment ni pourquoi ils le font. Et cette part de méconnaissance est bien inévitable par le fait que deux enfants n’apprennent jamais au même rythme, de la même manière ni pour les mêmes raisons. 
  2. La manière dont les enfants apprennent l'écrit est conditionnée par le rapport qu’ils entretiennent avec la langue (que je suis tenté d'écrire lalangue, à la manière de Jacques Lacan). Elle dépend de savoir: 
    1. Quelle langue ils parlent à la maison;
    2. Si, à la maison, on leur a lu des histoires, ils ont appris des chansons, des comptines;
    3. Si leur prononciation est correcte, si en répétant des comptines ils ont été capables déjà de scander les syllabes en frappant dans leurs mains;
    4. Si la maîtresse ou le maître est gentil, s’il se montre bienveillant, s’ils ont envie de lui plaire parce qu’il a de beaux yeux, une jolie voix;
    5. Si les premiers mots qu’on leur demande d'écrire sont choisis dans des phrases qu’ils aiment répéter, si certains de ces mots, par exemple, désignent leurs animaux favoris, réels ou légendaires (beaucoup de fillettes adorent les licornes, beaucoup de garçonnets sont très intéressés par les dinosaures, mais pas toutes ni tous);
    6. Si la nuit d’avant, ils ont bien dormi, s'ils ont fait de beaux rêves, ou si, derrière la porte de leur chambre, ils ont entendu leurs parents se crier dessus;
    7. Et de bien d’autres facteurs personnels de ce genre. 
  3. Je veux dire que les différentes manières dont les enfants apprennent à lire et à écrire ne dépendent que très accessoirement de leurs cerveaux, ceux-ci étant grosso modo tous les mêmes tandis que leurs histoires personnelles sont toutes différentes, et que la manière d'apprendre ne peut donc être décrite et modélisée que très accessoirement par les sciences cognitives. Et je veux dire aussi que, même d’un point de vue strictement pédagogique, la question ne devrait pas se poser en termes de méthodes, mais bien plutôt en termes d'outils, de dispositifs, ou d’environnements. Et j’ai parlé de la diversité des enfants, j’aurais pu parler aussi bien de la diversité des maîtres et des équipes pédagogiques. Si un maître aime La cane de Jeanne de Georges Brassens, et s’il se sent assez fort pour enseigner l'écrit à ses élèves en s’appuyant sur cette chanson, qu’il le fasse: il y a toutes les chances alors qu’il y réussisse très bien.
  4. Les apprentissages scolaires, pour les enfants comme pour les maîtres, sont d'abord affaire de liberté et de désir.

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