D’abord il s’est demandé s’il ne se trompait pas, mais non, c'était bien la fenêtre du salon. Puis il s’est demandé si Viviane pouvait être rentrée de l’hôpital. Elle y avait été admise dix jours auparavant et, d'après ce que Flora lui avait dit, la dernière fois qu’ils s'étaient parlé au téléphone, il était peu probable qu’elle revienne de sitôt. Se pouvait-il que les lumières du salon soient restées allumées depuis si longtemps? Un sombre pressentiment lui fait traverser le carrefour.
Il vérifie qu’il a bien la clé de l’immeuble et celle de l’appartement attachées aux siennes. Il appelle l’ascenseur. Parvenu au troisième étage, il hésite, il écoute. Il tourne la clé dans la serrure de l’appartement en se disant que peut-être il va trouver Viviane endormie sur le fauteuil du salon, au milieu de ses photos répandues sur le sol. Mais, quand il pousse la porte, c’est Flora Zambetti qui se tient dans l'entrée. Elle a été alertée par le bruit.
— Daniel, dit-elle, que fais-tu ici?
Elle a le regard inquiet. Daniel lui répond qu’il passait au coin de la rue, tout à fait par hasard, qu’il a vu de la lumière.
— Je me suis demandé si Viviane pouvait être de retour.
— Mais non, je t’ai dit, elle ne va pas bien du tout.
Ils sont tous les deux debout dans ce hall mal éclairé. Ils sont étonnés de se voir. Ils se regardent comme s’ils n'étaient pas sûrs de se reconnaître. Quelque chose s’est produit en arrière-plan, dans les coulisses du théâtre, dans les rouages de l’horloge, dans le scénario de l’histoire qu’ils ont vécue ensemble, entourant Viviane Hayward de leur sollicitude pendant plusieurs semaines. Daniel n’a pas le temps de réfléchir. Il dit:
— Et toi, que fais-tu ici? Tu as vu l’heure?
— Je fais une lessive.
Elle donne à sa présence une explication qui paraît crédible. Elle dit qu’elle a été appelée par un malade qui habite deux rues plus loin, auprès duquel elle a dû se rendre. Il était tard, elle a appelé une ambulance, et il lui a fallu attendre longtemps avant qu’elle arrive. Puis, quand l’ambulance a été là, au pied de l’immeuble, et que son malade est parti avec les brancardiers, elle s’est souvenue que Viviane avait besoin de linge propre. Alors, elle est venue ici.
— Je n’avais pas envie de dormir, dit-elle. De retourner chez moi. Tu entends la machine?
Et, derrière elle, elle ouvre la porte d’un cagibi où la machine à laver ronfle comme un moteur d’avion.
Daniel veut bien ajouter foi à son récit. Pourquoi pas, après tout? Il hoche la tête. Il dit:
— Et maintenant?
— J’attends que le programme se termine pour étendre le linge. Trois minutes à peine. La pluie devrait cesser. Demain il fera beau.
— Je peux t'aider?
— Si tu veux.
Les trois minutes s’écoulent sans qu’ils se disent rien. Puis, le moteur s'arrête. Il y a un étendoir installé à la fenêtre de la chambre, et un autre plus étroit à la fenêtre de la cuisine. Les deux fenêtres du côté cour. Flora remplit une bassine de petit linge et de pinces en plastique, qu’elle donne à Daniel en lui disant:
— Tu pends cela à la fenêtre de la cuisine. Fais attention! Il y a chaque fois du linge qui tombe dans la cour.
Puis, elle s’empare des draps, des serviettes-éponges, du peignoir de bains qu’elle emporte dans la chambre.
Daniel se trouve ainsi penché à la fenêtre de la cuisine, avec juste une poignée de petites culottes et de socquettes colorées entre les mains. Il craint qu’elles lui échappent tandis qu’il s’emploie à les suspendre dans le vide.
Il ne pleut plus qu’à peine. La cour est un puits de ténèbres que troue la clarté d’une seule fenêtre ouverte. Il entend le murmure de deux voix mais à peine. Des voix paisibles, d'un homme et une femme qui se parlent sans qu’il puisse les voir dans la lumière de leur chambre. Ces voix ne connaissent pas la peur qu’il a ressentie en découvrant Flora dans cet appartement, peut-être parce qu’elle-même paraissait effrayée de le voir, comme s’il la surprenait en train de préparer un crime. Ou comme si elle n’avait plus été Flora Zambetti mais une autre.
Il monte du fond de la cour une odeur de gasoil et de plantes putrides, mais cela n'empêche pas les deux voix de poursuivre leur dialogue. Et puis il arrive que la femme apparaisse à la fenêtre. Elle est nue et elle allume une cigarette. Elle lève les yeux vers lui, un étage plus haut, et elle aperçoit Daniel qui l'observe. Il ne se détourne pas. Il ne bat pas en retraite. Le temps d’un regard échangé, elle lui sourit, puis sans hâte elle se tourne vers l'intérieur de la chambre, mais sans quitter l’appui du chambranle à hauteur de ses reins.
Daniel continue de l’observer. Il se sent autorisé à le faire. S’il devait la rencontrer demain, dans la rue, sans doute qu’il ne la reconnaîtrait pas. Pourtant, en cet instant, son image le rassure et l’apaise. Elle reste, le dos tourné vers l’obscurité de la cour, tandis que son profil, ses épaules et son buste s’offrent dans la lumière.
ChatGPT ne peut pas générer d'image à partir de ce texte à cause de l'idée de nudité qui lui est interdite. En revanche, il cite à son propos Eric Rohmer, Georges Simenon et Robert Bresson. D'où je conclus qu'il sait lire
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