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Mademoiselle Camille, 4

Les années sont passées sans m'apporter presque aucune nouvelle. Un jour quelqu'un m'a appris que Joséphine avait fait ses études aux États-Unis et qu'elle s'y était mariée. Une autre fois, quelqu'un m'a fait savoir que Camille travaillait dans l'atelier d'une importante maison de couture, située dans le premier arrondissement de Paris. Cette personne ignorait, hélas, l'adresse et le nom de la maison. Enfin, plusieurs années plus tard, il m'est arrivé de feuilleter un magazine où il était question d'un chirurgien du Texas qui avait mis au point une technique de transplantation cardiaque, et qui avait obtenu l'investiture du parti républicain pour se présenter aux élections sénatoriales.
Une photo le montrait debout à une tribune. Sa femme se tenait un peu en retrait, près lui. Je n'ai pas eu besoin de lire son nom pour reconnaître Joséphine. Cela m'a fait sourire. Rien de plus.
J'ai habité Paris sans jamais rencontrer Camille. Il a fallu, quand je n’y habitais plus, que j'y revienne un jour, tout seul, pour interviewer une vedette de la chanson. C'était un après-midi d'hiver. Il faisait froid et gris. Elle sortait d'un cinéma de Saint-Germain-des-Prés, elle était en compagnie d'une autre femme. Nous nous sommes reconnus d'assez loin et nous nous sommes dévisagés. Nous avons hésité. C'est moi qui ai traversé la rue à sa rencontre. J'ai bredouillé :
— Camille, il y a si longtemps.
Le même sourire a illuminé son visage, mais plus timide. Comme un rappel. Nous avons échangé des banalités.
— Une maison de haute couture située dans le premier arrondissement, ai-je dit. Se peut-il que je devine son nom?
Elle rougissait:
— Je crois que oui. C'est la plus prestigieuse de toutes. Celle de Mademoiselle. Et de Karl maintenant.
— Pourquoi suis-je ému?
— Parce que nous étions jeunes et beaux.
— Il faut que nous nous revoyions.
— Tu es ici jusqu'à quand?
— Je repars demain. Mais je reviens assez souvent. Il se trouve qu'à présent j'ai une carte de visite, comme les vrais professionnels. Je te la donne. Fais-moi signe.
Sa compagne se tenait en retrait, les mains dans les poches de son manteau, et elle regardait ailleurs
Ce soir-là, j'ai dîné seul près des Champs Élysées, puis je suis rentré à l'hôtel. J'allumais le poste de télévision de ma chambre quand le téléphone a sonné. J'ai décroché. Elle a dit:
— C'est Camille.
— Je reconnais ta voix. Celle d'une jeune fille. Mieux encore que tout à l'heure.
— Tu es resté un vil séducteur, Alexandre. Où es-tu ? Je peux venir te retrouver?
Vingt minutes plus tard, j'étais installé dans un fauteuil du bar quand j'ai vu, derrière la vitre, un taxi qui s'arrêtait en double file. Puis, Camille est entrée.
— Qu'as-tu fait de ton amie?
— Elle a repris le train pour Roubaix.
— À cause de moi?
— Disons qu'elle est repartie un peu plus tôt que prévu.
— Tu lui as dit que tu venais me rejoindre ici?
— Je lui ai dit que j'avais besoin de te revoir, de te parler.
— Ce ne sera pas grave? Je veux dire que ton amie n'est pas fâchée?
— Elle est riche. Héritière d'une vieille famille de tisserands. Elle a des dizaines de jeunes femmes à ses pieds. Elle n'a pas besoin de moi.
— Je comprends. Défais ton manteau. Assieds-toi.
Il y a ainsi, dans les vies de chacun, des nuits qui font événement.


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