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Ernest De Luca (3 et fin)

Ernest n’avait pas changé de place derrière la vitrine, mais cette fois un homme et une femme étaient debout devant lui et ils lui parlaient. Je ne pouvais pas entendre ce qu’ils lui disaient, mais ils semblaient soucieux et Ernest ne les regardait pas.
Il tenait son journal entre les mains, il semblait agrippé à lui mais il regardait dans le vide, le front baissé, l’air penaud, comme un écolier auquel le professeur vient faire une remarque, s'étonnant d’une faute légère qu’il a commise, d’une absence, d’un devoir qu’il n’aurait pas rendu, sans élever la voix. Sans montrer de colère. J’ai cru comprendre alors le sens du tableau que j’avais sous les yeux. Je suis entré. J’ai dit que je connaissais ce monsieur, que j'étais son voisin, et je n’ai pas eu besoin d’en dire davantage.
D’un ton tranquille, précautionneux, en le regardant toujours, la femme m’a répondu qu’il était là depuis l’ouverture, et que d’abord ils avaient cru qu’il attendait quelqu’un d’occupé à côté, dans un hangar technique, avec les mécaniciens, mais qu’ensuite ils avaient compris qu’il était seul.
“Alors, nous lui avons demandé si nous pouvions faire quelque chose à son service, mais il n’a pas su nous répondre, ni même nous dire son nom et où il habitait.”
Je les ai remerciés. Je l’ai fait sans réfléchir. Puis, je leur ai dit son nom et qu’il m'était facile de le ramener chez lui. Ils ont hésité, ils ont échangé un regard, puis ils ont accepté.
“Nous vous faisons confiance”, a dit la femme.
Et aussitôt que j’ai tendu la main, Ernest a posé la sienne sur mon bras, il s’est levé en silence et nous sommes partis.

Il marchait lentement, toujours sans parler ni lâcher mon bras. Il était maigre, légèrement voûté, avec toujours le même visage pâle, comme décoloré, les yeux gris et des traits de fouine.
Nous sommes allés ainsi jusqu'à la station de tramway la plus proche, celle qui se trouve sur le marché. Nous n’avons pas eu longtemps à attendre. Nous sommes montés dans une rame qui était à peu près vide, et nous l’avons quittée, trois stations plus loin, à celle de Gorbella.
J’ai sonné à l'interphone. Une voix de femme m’a répondu. J’ai dit que j'étais avec son père. J’ai demandé qu’elle m’indique l'étage, puis nous avons pris l’ascenseur. Il restait muet, il ne me regardait pas. Celle qui nous attendait était sur le pallier.
J’ai dit: “Je crois que votre père était un peu perdu. Et je me suis permis de le raccompagner.
— Oh, oui, c’est aimable à vous!” m’a-t-elle répondu.
Elle a posé les deux mains sur son épaule. Elle l’a embrassé. Elle paraissait émue. J'étais sur le point de repartir mais il fallait qu’elle sache. Elle m’a interrogé: “C’est lui qui vous a dit notre adresse?”
J’ai dû sourire. J’ai répondu: “Non, mais il se trouve que je suis votre voisin. Je vous vois souvent ensemble. Vous devez me voir aussi. Et puis, pour tout vous dire, je suis votre cousin.”
Elle a été surprise: “Notre cousin?
— Oui, nous portons le même nom. Nous venons du même pays. Je vous expliquerai un jour, si vous le voulez bien. Mais je crois que maintenant votre père a besoin de vous.
— Bien sûr, mais vous pouvez entrer un moment, s'il vous plaît! Vous ne me dérangez pas!”
La porte de leur appartement était ouverte derrière elle. Un salon lumineux. Des meubles modernes, lustrés, sans un grain de poussière. Je crois que j’y cherchais des yeux un objet que je n’y trouvais pas.
J’ai dit: “Non, je vous assure, nous aurons tout le temps de nous revoir. Je viendrai sonner à l'interphone. Croyez-moi! Je sais même que vous étiez professeure de mathématiques. Quand nous étions petits, la famille était très fière de vous.”
Le vieillard était entre elle et moi. Il paraissait plus perdu que jamais. Puis soudain, il s’est tourné vers elle et il a dit: “Mais oui, tu sais, c’est le fils d’Albert! Tu ne te souviens pas?”
Après quoi, aussitôt, il s’est tourné vers moi et il a dit: “Et le violon, tu joues toujours du violon?”
Ce jour-là, nous ne pouvions pas en dire ni entendre davantage. Mais elle s’appelle Yolande et depuis, il arrive qu'on se voie.

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