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Articles

Ghislain Reger

Ghislain Reger me donnait rendez-vous, le soir, au bar de l’hôtel Westminster, sur la Promenade des Anglais. Souvent, j’avais passé l’après-midi dans la partie sud de la ville, à travailler à la bibliothèque Dubouchage ou dans des cafés où j’avais mes habitudes, et ensuite, quand nous avions quitté le Westminster, et après que nous nous soyons attardés un long moment encore sur la Promenade des Anglais, à marcher dans la nuit, en devisant côte à côte, il fallait que je retourne chez moi, tout à fait à l’opposé de la ville. Je tournais le dos à la mer pour gravir les avenues qui s'éloignent en direction des quartiers nord, ce qui revenait à traverser la ville de part en part. Je m’en allais en tramway par l’avenue Jean Médecin, puis par l’avenue Malaussena, puis par l’avenue Borriglione, enfin je m’engageais à pied dans l’avenue Cyrille Besset qui tourne et qui s'élève dans la nuit, comme si elle devait rejoindre un lieu magique où se tiendrait un bal, avec une estrade en bois s...

5) Verlaine Is Alive

On avait vu des photos de Jackie Kennedy sur le yacht d’Aristote Onassis. On voyait à présent celles d’Artemis Khoury sur le yacht d'Emilio Cassirer. Bruno ne s'était jamais beaucoup intéressé à ces choses. Si on lui avait demandé s’il s'intéressait à la figure d’Artemis Khoury et à sa liaison supposée avec Emilio Cassirer, il aurait répondu que non, pas du tout, il savait à peine qui ils étaient. Bien sûr, il n’avait pas manqué de voir des photos, d’entendre parler d’eux, mais sans y prêter la moindre attention. Cela se passait ailleurs, dans un autre monde que le sien. Bruno s'intéressait aux voitures, aux moteurs, aux carrosseries, aux déformations qu'entraîne un choc sur une aile de voiture, à la déformation éventuelle du châssis quand le choc est plus raide, à l’odeur de la graisse, à celle de la peinture qui pénètre vos poumons, au métal des outils, au caoutchouc des pneus, et plus encore il s'intéressait à la vie de son garage, au fonctionnement de sa pet...

Pour une langue créole ?

Jean-Luc Mélenchon veut débaptiser le français pour l’intituler "langue créole". Je passerai sur les accents haineux que contient son article, qui sont dans sa manière, et qui suffisent à disqualifier sa proposition. Je note plutôt que des socio-linguistes universitaires (payés par l’université de leur pays, pas un autre) volent déjà à son secours. Rien d’étonnant à cela puisque ceux-ci lui préparent le terrain depuis plusieurs décennies, exerçant leur influence délétère sur la Commission des programmes et sur toute la hiérarchie de l'institution scolaire, dans le but qu’on renonce à enseigner la langue. Je voudrais répondre sur le fond. En déclarant d’abord que la linguistique n’a rien à voir dans cette affaire. Qu’elle n’a rien à répondre à l'idée baroque du tribun. Qu’il ne lui appartient pas de la réfuter, dans la mesure où il ne lui revient pas de dire ce qui est bien d’une langue (ici, le français) ou ce qui n’en est pas. Tout ce que peut dire la linguistique c’...

4) Une scène de crime

Donc un crime est commis à Londres. La victime est un banquier, Emilio Cassirer, dont la fortune était récente et qui était connu pour ses frasques, ses insolences à l'égard de la couronne britannique, ses amitiés douteuses, et plus récemment pour sa liaison tapageuse avec l'épouse d’un homme d’affaires libanais aussi puissant que lui. Le corps a été retrouvé avec une balle au milieu du front, dans son bureau situé au huitième étage de l’emblématique Somerset House qui sert de siège social à la banque International Capital Group (ICG) dont il présidait le conseil d’administration. Cassirer revenait d’un voyage à Hong Kong. D'après les premières informations fournies par le procureur général lors de sa conférence de presse, il arrive à l’aéroport d’Heathrow un peu après vingt-deux heures, et au lieu de rentrer chez lui, il demande à son chauffeur de le déposer à son bureau en précisant que celui-ci ne doit pas l’attendre. Le chauffeur, qui connaît ses habitudes, ne s’en éton...

3) Damien Norfolk

L’imagination de Bruno s'est mise en branle la première fois qu’il a eu à s’occuper de la voiture du prétendu Norfolk. Jamais personne jusque-là n'était venu lui confier un véhicule de ce prix, et comment son propriétaire pouvait-il savoir que Bruno avait appris le métier, quinze ans auparavant, chez un concessionnaire d’Aston Martin à Londres? De plus, la voiture était neuve, à peine plus de mille kilomètres au compteur, elle sortait de l’usine, et son travail de mécanicien s’est réduit à une série de vérifications qui l’ont occupé une heure ou deux, après quoi il est sorti fumer des cigarettes dans la nuit, sur le seuil de son garage, en attendant le retour du mystérieux personnage, et en échafaudant des hypothèses les plus fantasmagoriques concernant sa véritable identité. À l’aube, Norfolk est réapparu dans la rue déserte. C’était, dans le brume du petit jour, la silhouette d’un homme à peine plus grand que la moyenne, en pull à col roulé, le visage rasé et les yeux bleus. ...

2) Dialogue dans un garage

Je me suis avancé sur le seuil du garage. Le dos dans l’obscurité de la rue, la face dans la clarté jaune des lampes baladeuses. Je parle le premier, Bruno me répond. — Qu’est-ce que tu fais ici? — Tu vois, je travaille. — À cette heure? Je ne savais pas que tu t’occupais de ce genre de voitures? — J’ai commencé dans un garage de Londres quand j'étais jeune. On a dû le savoir. — Et ça t’arrive souvent? — C’est la deuxième fois, pour le même client. La première fois, c'était il y a cinq ans. Je ne m'attendais pas à le revoir. — J’imagine qu’il paye bien? — Très bien. Il me prévient par téléphone. Puis, il amène sa voiture à dix heures du soir et il revient la chercher à six heures du matin. Il insiste pour que je sois seul. — C’est la même voiture? — Pas la même voiture mais le même modèle. — Tu règles le moteur? — Je vérifie. J'écoute les bielles. Je vérifie les freins. La routine. — Qui est ce type? Elle n’est pas un peu mystérieuse, ton affaire? — Très mystérieuse, ma...

1) Une nuit d'été

Bruno est le patron d’un petit garage automobile sur l’avenue Cyrille Besset. Je passe devant plusieurs fois par jour, toute l’année. Malgré son nom, l’avenue Cyrille Besset n’est, sur ce tronçon, qu’une petite rue qui s’élève en oblique dans le quartier nord, par laquelle je passe quand je reviens du centre-ville. La rue en pente et mal éclairée d’un faubourg. Dans la journée, le garage est toujours ouvert et Bruno est le chef d’une équipe de cinq ou six solides bonhommes. Je ne lui ai jamais amené ma voiture qui ne sort presque jamais du parking de mon immeuble, mais je suis toujours très content de passer devant son garage. Le plus souvent, les ouvriers travaillent sur les voitures, à l’intérieur du garage, tandis que Bruno se tient sur le trottoir avec ses écouteurs aux oreilles, occupé à parler au téléphone avec des clients et des fournisseurs. Après ce premier contact, les clients lui amènent leur voiture pour que Bruno évalue les réparations qu'il y aura à faire, et le temps...