Accéder au contenu principal

Articles

7. Une brosse à cheveux

Ce n’est pas le proviseur qui est venu solliciter Daniel dans son garage à vélos, c’est la professeure de lettres, Roselyne Bujot, dont il avait été question au cours de l’entretien que le proviseur avait eu avec Langlois, à savoir la mère de la jeune fille que Daniel avait séduite trois ans auparavant, et qui était sortie détruite de cette histoire. Pourquoi cette femme? Parce que le proviseur lui avait demandé de le faire, sans doute pour se préserver lui-même. Il fallait qu'il l’ait informée de l'échange qu'il avait eu avec Langlois, ce qui suppose qu’il existait entre eux une confiance, voire une complicité qui peut surprendre au premier abord, et qu'on est tenté d’expliquer de différentes manières, et sans doute aussi parce que cette professeure trouvait là l’occasion de se réconcilier avec son ancien élève, dont on pouvait se demander s’il n’avait pas été traité de manière quelque peu expéditive et injuste, trois ans auparavant. Si on ne s'était pas débarrassé...

6. Mais fidèle, mais fier...

Le proviseur du Parc Impérial s’appelle Stéphane Theuriet. Il a demandé au commissaire Langlois de le rencontrer. De préférence en terrain neutre. Ils se retrouvent ainsi au restaurant du Club nautique, un jour de décembre où le ciel est si clair, le soleil si brûlant que, sur la terrasse, les hommes sont en chemises et les femmes en robes légères, coiffées de grands chapeaux. Ils ne perdent pas de temps en préambule. Theuriet remercie le commissaire d’avoir accepté son invitation. Ils consultent la carte, commandent l’un et l’autre des filets de soles avec une bouteille d’eau minérale, et aussitôt Theuriet explique: — J’ai reçu la visite de la mère de l’une de nos élèves en classe de Première. Une jeune fille qui ne s'était jamais fait remarquer jusque là. Sérieuse, plutôt timide. Cette mère m’explique qu’elle a fouillé dans le téléphone de sa fille, et qu’elle y a découvert deux petites vidéos que celle-ci avait postées sur TikTok, et d’autres aussi qu’elle avait reçues. Et, à le...

La lecture des apparences

Dans Un père venu d’Amérique (dans Arsène et Elvire ), je décris une scène à laquelle il m’a été donné d'assister. C'était dans les années où le téléphone portable existait déjà mais où il n’avait pas fini de s’imposer et où on trouvait encore des cabines téléphoniques dans les rues. Et c'était un dimanche de printemps, très clair, en fin d’après-midi, dans un quartier éloigné du centre-ville, à l’angle du boulevard François Grosso et du boulevard Tsarévitch. Une femme m’est apparue, traînant avec elle une valise à roulettes. Elle est entrée dans une cabine téléphonique qui se trouvait là et elle a eu, au téléphone, une assez longue conversation derrière les vitres. Je n’en ai bien sûr rien entendu, je la voyais de loin, de l'opposé du carrefour, les traits de son visage se dessinaient à peine, mais l’allure était celle d’une très jolie femme de quarante ans peut-être. Et cette scène m’a longtemps poursuivi. Dans la nouvelle que j’ai écrite bien des années plus tard, l...

5. Les visiteurs de la nuit

L’histoire commence avec un article de Nice-Matin , une pleine page illustrée d'une photo. Son titre: Les visiteurs de la nuit . On y raconte que des propriétaires de villas situées sur les collines ont eu la surprise de constater que celles-ci avaient été visitées en leur absence. Non pas par des cambrioleurs, ce à quoi on s’attend toujours, mais par des jeunes gens qui sont venus y faire la fête et qui ont laissé la maison et surtout sa terrasse dans un désordre affligeant, comme si un essaim de criquets s’y était abattu. Comment ces propriétaires peuvent-ils savoir qu’il s’agit de jeunes gens, et même de très jeunes gens? La réponse est simple: parce que les caméras de vidéosurveillance le montrent. Ce qu’elles montrent aussi, c’est que ces individus ne sont pas les mêmes dans chaque occasion, pour autant que les services de police aient pu en juger d'après les enregistrements qu’ils ont visionnés dans chacune des maisons. Et on apprend aussi que certains d’entre eux, qui se...

L'Heure d'été

La vidéo fait alterner deux séries d'images. Dans la première, ce sont des scènes nocturnes, dont Daniel comprend qu’elles ont été filmées pendant les fêtes des villas. On y voit des jeunes gens en plans rapprochés, le plus souvent ils regardent l’objectif, on leur a demandé de le faire, les images décrivent leurs tenues vestimentaires, les postures de leurs corps et leurs visages toujours muets, parce qu’on leur a demandé aussi de se taire, et ces images nous disent leur état de fatigue, leur ivresse. Ils sont au bord du sommeil ou dans un état d’hypnose. Et ces images sont floues et mal éclairées. La seconde série s’intercale par fragments dans la première. Elle est au contraire très lumineuse. On y voit un groupe de jeunes gens qui marchent dans la campagne, sur un chemin étroit, noyé par les feuillages des arbres et par les hautes herbes. À la dernière image, on comprendra qu’ils descendent à la rivière où ils vont se baigner. Et ils semblent tous en bonne santé, pleins d'é...

Le spectacle du roman

L’histoire que pour le moment j’intitule Des lumières sur les collines , et dont j’ai publié les premières pages ici , au fur et à mesure que je les écrivais, en même temps que je les inventais, à présent je continue d’y travailler ailleurs, sur un blog dédié, l'idée étant de peaufiner le scénario avant d’écrire la suite, soit un dédoublement du travail d’écriture auquel je ne m'étais jamais livré jusqu'à présent et qui a toutes les chances de se solder par un échec. Depuis longtemps pourtant je défends la distinction que fait Aristote à propos de la rhétorique entre  L' inventio (invention, qui est l’art de trouver des arguments et des procédés pour convaincre).  La dispositio (disposition, qui est l’art d'exposer des arguments de manière ordonnée et efficace).  L' elocutio (élocution, qui est l’art de trouver des mots qui mettent en valeur les arguments, ce qu’on appelle aujourd’hui, de manière dangereusement restrictive “le style”, comme si le style ne rel...

4. L'envol

Après la mort de Viviane Hayward puis la fin de la crise sanitaire, la vie de Daniel a beaucoup changé. En l’espace de quelques mois, il est devenu marchand et réparateur de vélos. Ses parents se sont associés pour acheter un garage qui existait déjà, rue Vincent Fossat, à deux pas de la rue Parmentier où il continue d'habiter, et ils en ont fait le gérant, rôle qu’il assume avec beaucoup de sérieux. Il a renoncé au poker et il paraît bien décidé à faire en sorte que son garage devienne l'un des rendez-vous incontournables du cyclisme azuréen. Il a une stratégie pour cela: il va courir le dimanche matin avec ceux de ses clients qui ont déjà leurs habitudes sur les routes de l'arrière-pays. Il les suit comme il peut, encore que la plupart soient plus âgés que lui, et de chacune de ces randonnées il rapporte de courtes séquences vidéo qu’il réalise avec une caméra frontale, et qu'il projette ensuite sur un grand écran qu’il a fait installer dans le magasin, puis qu’on peu...