Un autre jour il m’a dit: Je vous ai vu au Mexique avec votre femme. Vous aviez un appareil photo entre les mains, un Rolleiflex je crois, vous faisiez du tourisme et là, vous étiez devant la pyramide de Kukulkan que vous essayiez de faire entrer dans la photo. Cela vous dit quelque chose?
MOI: Nous ne sommes jamais allés là-bas. Vous êtes sûr que c’était nous?
LUI: L’image disait que c’était vous.
MOI: Quel âge avions-nous?
LUI: Oh, vous étiez jeunes, la quarantaine peut-être.
MOI: Quand nous avions quarante ans, nos enfants étaient petits, ils voyageaient avec nous. Jamais nous n’avons voyagé sans eux. Ou peut-être deux ou trois fois à Paris, et une fois à Londres. Pas davantage. Ils n’étaient pas sur la photo?
LUI: Non, il n’y avait que vous sur la photo, et aucun autre touriste. Vous sortez d’une forêt où volent des perroquets ou des oiseaux de ce genre, et soudain, dans une clairière, la pyramide apparaît devant vous. Et votre femme se tient dans votre dos, tandis que vous vous approchez juste assez pour faire entrer la pyramide dans la photo. Comme on la voit, votre femme est très belle. Très lumineuse. Elle est prise de profil, dans un instant où elle se tourne, si bien que son visage est flou.
MOI: Le pire, c’est que ça ressemble assez! (Rire.) Où avez-vous pêché cela?
LUI: Et je ne veux pas m'appesantir sur le sujet, je ne voulais même pas vous en parler, mais puisque nous y sommes, autant le dire: il y a beaucoup d’autres photos aussi qui défilent à toute vitesse, associées à celle-ci.
MOI: Je ne comprends pas.
LUI: Oh, quantité de photos qui sont prises, non pas devant la pyramide mais dans votre chambre d’hôtel.
MOI: Dans notre chambre d’hôtel?
LUI: Oui, dans votre chambre d’hôtel. Vous êtes des touristes, il faut bien que la nuit vous dormiez quelque part, et même que vous fassiez la sieste, pendant de longues heures de la journée, quand il fait trop chaud pour sortir, et que vous preniez des douches. Est-ce que je me fais comprendre?
MOI: Oh, oui, maintenant je vois très bien. Vous essayez de me faire entendre que, sur ces photos, ma chère femme est dévêtue.
LUI: Elle l’est, en effet. Et pardon, mais je vous y vois aussi.
MOI: Moi aussi? Comment cela?
LUI: Cette chambre a beau être petite, elle n’en est pas moins meublée d’un grand lit, toujours défait, et d’une petite table en bois sur laquelle sont posées une machine à écrire et une rame de papier. Et puis, il y a un miroir. Un grand miroir. Vous imaginez la chose, ou faut-il que je vous fasse un dessin?
MOI: Vous voulez dire que, dans cette chambre, on nous voit tous deux dans le miroir?
LUI: Exactement. Sur beaucoup de photos, l’appareil que vous tenez entre vos mains apparaît dans le miroir, au premier plan, et votre femme se tient à côté de vous. Vous lui avez demandé de s’approcher assez pour entrer dans le cadre. Et elle se montre fièrement. D’une manière très digne et très belle. Vous pouvez me croire, ces images n’ont rien d’indécent.
MOI: Vous m’avez presque convaincu. Et puis, au point où nous en sommes, dommage que je ne les voie pas, moi aussi, ces photos. Que je ne les aie pas gardées.
LUI: Ne vous plaignez pas. Grâce à moi, grâce au pauvre fantôme que je suis, maintenant vous les verrez.
MOI: Mais on ne m’avait pas dit que vous étiez un assassin?