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Articles

Le Sud

Les dimanches de printemps reviennent chaque année. Cela ne manque pas. Ils le font depuis si longtemps. Toujours avec la même ostentation. Le même toupet. Comme s’ils ne savaient pas, qu’ils ne voulaient pas savoir. Des dimanches où soudain, dès le matin, les rues se vident. Non pas que les habitants se cachent mais parce qu’ils sont partis, pas bien loin, d’où ils reviendront le soir, le nez rougi par le soleil, et je crois savoir où ils sont allés. Parce que je me souviens y avoir été, il y a bien longtemps, ou peut-être que j’invente. Souvent je ne sais plus si je me souviens ou si j’invente, ou si peut-être j'ai rêvé. Ce n’est pas que cela fasse une grande différence, c’est la violence des images plutôt qui m’émeut. Leur précision et leurs couleurs si vives. Se peut-il qu’attachées à ces images, j'aie des histoires à raconter. Et ce n’est pas non plus que je tienne à raconter des histoires mais les images ne se racontent pas. Elles apparaissent derrière vos yeux, comme pro...

Des Impressions Imaginaires Génératives

Raymond Roussel a écrit un livre intitulé Comment j’ai écrit certains de mes livres . À sa manière, j’ai voulu comprendre et dire comment j'écris mes petites histoires. Un concept me manquait. J’ai un temps flirté avec celui d’ épiphanie , emprunté à James Joyce mais dont je n'étais pas certain de bien le comprendre ni qu’il correspondît à ma propre expérience en ce que, la concernant, je ne voyais rien y entrer de mystique. J’en ai donc inventé un que j'intitule “Impression Imaginaire Générative” (IIG) à propos duquel il m'a été facile ensuite d’aligner quelques propositions. Pour des raisons de clarté, j’ai donné à ma théorie un caractère impersonnel, encore qu’elle n’est fondée a priori que sur mon propre travail. Un cadre théorique plus large et plus robuste m’est fourni par le Tripode lacanien: Symbolique vs Réel vs Imaginaire. Je vois bien que le Réel ne trouve pas place dans mon schéma, ce qui n’a rien d’étonnant, mais l’opposition Symbolique vs Imaginaire me sem...

Monologue de Véra

Il avait trente ans de plus que moi. Il avait été mon professeur de mathématiques à Paris. J’avais vingt-trois ans quand nous nous sommes mariés. Il avait déjà été marié, il avait un fils plus vieux que moi. Quand il a pris sa retraite, il a voulu revenir en Bourgogne pour habiter la maison qu’il tenait de ses parents, et je l’ai suivi. J’avais trente-cinq ans alors. Les premières années, il a continué à animer des séminaires, à participer à des colloques, il en était heureux, puis il est tombé malade, d’une maladie invalidante, et très vite il a dit que ce n’était pas le rôle d’une femme de s’occuper d’un mari malade. Il avait sa gouvernante, Madeleine, qui faisait la cuisine. Elle arrivait tôt le matin et ne repartait qu’après qu’il avait pris ses médicaments et qu’il avait dîné. J’ai mené ma vie. Je participais à une chorale, je prenais des cours de dessin, de danse, d’art floral, je sortais beaucoup. Le bourg voisin se trouve à six kilomètres. J’y avais des amis de tous âges. Certa...

L’ophtalmologue

Mon ophtalmologue jouait aux courses. J’étais moi aussi présent sur le champ de courses presque chaque jour de l'année où des courses se disputaient, mais je n'étais pas ophtalmologue. Je l’avais aperçu la première fois, debout à la tribune, en train de suivre une course avec des jumelles, sans accorder beaucoup d’importance à cette apparition. Il avait bien le droit d'être là, me suis-je dit, bien le droit de se distraire de ses occupations professionnelles qui le retenaient à son cabinet jusqu’à des heures tardives pour scruter à la loupe le fond de l'œil de ses clients. Mais c'était là le hic, qu’il utilisât un instrument d’optique pour suivre les courses de chevaux comme il utilisait d’autres instruments d’optique pour observer le fond de l’œil de ses clients. Son cabinet était situé sur le boulevard Victor Hugo, dans un immeuble ancien et luxueux, où une femme de ménage pliée en deux se déplaçait lourdement dans l’escalier pour passer la serpillière, où la cabi...

Retour de Saorge

Une fois passé le col, nous savions que la mer était à l'horizon, encore que dans la nuit nous ne pouvions pas la voir, et la route dessinait de larges lacets qu'il me fallait négocier avec prudence, tandis que les petits personnages dévalaient devant nous, courant et sautant dans leurs costumes bariolés, et coupant au travers. Ils semblaient nous attendre, un virage après l’autre, comme pour nous signifier qu’ils nous devançaient toujours. À notre passage, ils se précipitaient sur la voiture et collaient leurs visages sur le pare-brise pour nous faire des grimaces. Nous avions quitté Saorge à une heure tardive. Nous y étions montés pour assister à un concert de musique baroque qui avait été donné en fin d'après-midi sur le parvis du monastère. Parmi l'assistance, nous avions rencontré Mireille avec laquelle Anna avait été liée du temps de sa jeunesse militante. Mireille habitait le village, nous le savions, si bien que nous n'avions pas été surpris de la rencontrer...

L'oiseleur

Pour l'attraper, inutile de lui courir après Vas te poster plutôt en un certain endroit qui lui est familier, cache-toi sous les branches et ne respire plus qu'à peine. Attends le temps qu’il faut et ensuite, quand il passe, le geste prompt, décidé, sans le blesser pourtant, à toi le bonheur de prendre entre tes mains la tiédeur  de son cœur qui palpite rouge sous la cendre

Stardust Memories

C’est aujourd'hui mon 73e anniversaire. Je le fêterai en me rendant sur la tombe de ma femme, au cimetière de Caucade, où je souhaite la rejoindre quand mon tour sera venu. Que puis-je espérer? De vivre le plus longtemps possible, ou de connaître une mort prompte et bienveillante, qui me trouve debout, au soleil? J’ai écouté hier, sur France-Culture, une émission consacrée à l’artiste Judith Scott , que je ne connaissais pas, à la suite de quoi j'ai fait des recherches la concernant, au hasard desquelles j’ai rencontré le terme de “cocons” pour qualifier ses œuvres, et je me dis que Nice-Nord est, lui aussi, un cocon. On a souligné à juste titre que F. Kafka n’avait pas lui-même détruit les écrits dont il a prétendu que son ami Max Brod devrait les détruire après sa mort. Au contraire, il semble les avoir conservés avec beaucoup de soin. Ainsi, que ses écrits ne fussent pas essentiellement destinés aux autres n'empêchait pas qu’ils remplissent une fonction personnelle. Cell...